Vagabondage sur les Chemins de Saint-Jacques de Compostelle

 

Camino del Norte - Naranco : San Miguel de Lillo (XII-XIII s.)

Vagabondage

 

Mercredi 22 mai 2024

 

« Jeux de mots, jeux de vilains ; jeux de pieds, jeux de … ? » Jeux de quoi ?  Je ne sais plus, je ne sais pas. Mais des jeux de mots, oh, oui, j’en connais tout un bout, et des jeux de maux aussi…

 

Il est quatre heures vingt et je me suis levé il y a vingt minutes, mon esprit étant en pleine pensées depuis une heure. « Une heure seulement » disait Jacques Brel dans une de ses chansons (*).

 

Une heure, seul, aimant me mener là où il le veut, Parki va et bondit.  Il va le gars et bondit de mots en mots, de maux en maux ; il vagabonde me menant là où il a décidé de me mener.  Dans son engrenage il me tient et je nage entre les ancres, essayant de me libérer de ce lieu où je me trouve.

Oh, cela a commencé par un mot, un seul mot,

« Oui, monsieur, un seul.» 

« Non, monsieur, je ne sais plus lequel. »

Avec ce mot il a pris mes pensées qui, depuis, batifolent.  Sur ce mot, elles ont bâties, folles de liberté, tout un scénario. Un deuxième mot est venu puis un troisième formant un tout, une phrase.

« Oui, monsieur, trois mots suffisent à faire une phrase. Un verbe, un sujet, un qualificatif ». 

Et me voici piégé depuis plus d’une heure, essayant de trouver la porte de sortie, une échappatoire.  Mais,

« Oui, monsieur, une phrase, cela se termine toujours par un point.»

Et ce point dans cette histoire, est un point final.

« Tu restes là où je t’ai mené», me dit Parki.  « C’est mon histoire quand même, et tu la suivras que tu le veuilles ou pas.  Ces maux, c’est moi qui les invente pour te tenir attaché à moi.  Te souviens-tu, cela a commencé avec un premier mal. C’était ta main.  Un premier mal, mais cela ne va pas avec les mots, alors j’en ai inventé d’autres pour être en accord avec moi-même, mettre les mots et les maux en accords.  Oui, je n’aime pas les désaccords, et des accords, et des ‘encore’, j’en ai encore plein ma poche. Te souviens-tu, quand tu étais petit, quand tu étais enfant, tu en mettais plein tes poches, des petits cailloux, et des joujoux, et des bisous plein le front.  Tu avais cinq ans.  Et cela fait cinq ans maintenant, cinq ans maintenant ta vie …

 

Ah non, là tu te trompes, cela fait maintenant près de dix ans que tu me mets sur les genoux ou que tu essayes de le faire. Ces petits cailloux que je mettais dans ma poche, je savais bien qu’un jour ils me serviraient.  Comme le Petit Poucet, je les ai semés tout au long de mon existence, pour retrouver le chemin vers ma maison. Ces petits cailloux, ces joujoux que j’ai découverts tout au long de mon existence, tous ces bisous que j’ai reçus, ils ne s’envoleront pas comme les hiboux au petit matin.  Tu peux me les confisquer petit à petit, tu peux les enlever de mon chemin pour que je ne retrouve plus sa trace.  L’herbe poussera et le cachera et, dans le fouillis des mots, dans le fouillis des maux que tu feras germer et pousser pour me déstabiliser et me tenir toujours plus près de toi, je sais qu’il persistera, qu’il est toujours présent.  « Qui mal étreint, mal embrasse ! » En brasse, souviens-t-en, j’étais bien fort.  Sous l’eau, retenant mon air, l’air de rien, je nageais deux longueurs de piscine et plus encore avant de revenir prendre mon souffle.  Vois-tu, je le sais, je ne suis plus à  cet âge de mes vingt ans, mais il n’est pas vain de te le rappeler, de me le rappeler, que j’ai ces capacités de prolonger l’effort et d’être parmi les forts.  Alors, monter dans ton train, j’y suis obligé, mais, j’aime la vie et je préfère son embrase à tes embrassades.

 

Il était trois heures, et Parki m’a mis un mot en tête, puis un second et un troisième, une phrase, et puis des images me tenant prisonnier de ses idées qui bâtissent folles au gré de la nuit. Je n’ai pas vu de hiboux car je ne suis pas sorti de la maison.  J’ai essayé de sortir des maux de la nuit, mais l’ami me tenait dans ses mots.  Alors je me suis levé et j’ai couché ces quelques mots sur le mur brillant de mon ordinateur, ne pouvant moi-même me coucher, l’esprit bouillant de mon donateur, pour arrêter ces maux et ces mots qui me tiennent éveillés.

« Jeux de pieds, jeux de vilains ; jeux de mots, jeux de curé ! » Voilà que cela me revient Mais, je préfère, « Jeux de pieds (-de-nez), jeux de vilains ; jeux de mots, jeux de curée ! » Le vilain, c’est moi

« Oui, monsieur, c’est moi. Non, pas celui qui est vilain, soyez poli tout de même !  Le vilain, celui du moyen-âge, le manant si vous préférez. »

Oui, ce vilain, c’est moi et c’est sans émois ce matin, que j’accepte d’être ce mâtin qui joue sur les mots, d’être ce mâtin jouant avec les maux de mon compagnon, d’être ce manant du moyen-âge, cet âge moyen que je mènerai encore tambour battant, de foire en foire.

« Comme un enfoiré me direz-vous ? Oui, monsieur, comme un enfoiré, allant déballer ma besace de pèlerin errant, j’ouvrirai mon âme et mon esprit émanant du plus profond de mon cœur et, sur les pas de portes, je crierai encore :

 

« Eh, manant ! Viens là avant que je ne sois las ! Eh, toi, le vilain, vois ! Au moyen âge menant du petit matin de mes cinq ans au soir des jours qui me restent encore à vivre, à l’âge moyen au pied de l’arbre mûr de mes septante-cinq ans, mes poches sont toujours remplies de milles cailloux grappillés au bord du Chemin, de milles preuves d’amour ramassées au long de ma route, tous ces trésors que j’ai enfouis au plus profond de moi, au cœur de mon être, dans le saint du saint. Viens, toi le manant, toi le vilain, toi le battant de la vie, loin des jeux de mots, des jeux de maux, des ‘je’, des ‘eux’ et des maux, fais-en des émaux pour parer les murs de ta maison à venir, ta maison à vernir avec amour, avec l’amour de tous les tiens, avec l’amour qui te tient et te dit : « Qui bien étreint, bien embrasse ! ».

 

Alors, je lâche les embrases, je lâche les amarres de la nuit, les ‘j’en ai marre’ de Parki et, battant de ma cloche, je m’en vais sur les chemins, vagabond de la nuit, vagabond de mes jours.

« Oui, va, gars, bondit dans la vie par-dessus les mots, couvert de ton pardessus de maux. Oui, monsieur, je vagabonde encore de foire en foire comme un enfoiré pour ne pas être la bonne poire de mon compagnon ou la pomme de la discorde.  Je joue encore avec mes mots pour me détacher de ses maux, lever l’ancre et crier, et mettre sur papier, émettre sur le mur de mon ordinateur, sans peur et sans reproche la devise qui git au fond de mon cœur :

« Scout ! Toujours prêt ! »

 

 

 

(*) La chanson de Jacky

 

« Etre une heure, une heure seulement,

Être une heure, une heure quelque fois,

Être une heure, rien qu’une heure durant,

Beau, beau, beau et con à la fois. »

 

 

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